A la rencontre de Jamel Madani (comédien) : «Je me demande comment le peuple tunisien va s’en sortir !»


«Hafedh Ala Nidham» (Maintenez l’ordre!) est une nouvelle pièce de théâtre où Jamel Madani campe le rôle principal. Un travail qui tend le miroir à une société malade de sa classe politique et des saltimbanques qui se sont transformés en peu de temps en politiciens. Entretien.


Pourriez-vous nous parler de cette nouvelle pièce dont vous interprétez le rôle principal ?
«Hafedh Ala Nidham» (Maintenez l’ordre !) est une pièce écrite par Habib Belhadi, mise en scène par Rabeb Essrairi avec Jamel Madani, Rabeb Essrairi, Oussama Kochkar et Wajdi El Borji. C’est une pièce qui parle d’une famille qui prépare l’un de ses descendants, un homme politique, à diriger un pays. L’objectif est de tout faire pour que le pouvoir ne sorte pas du giron de la famille, de sorte que ce pouvoir devienne un héritage. Le descendant de cette famille est alors envoyé chez une femme coach (Madame Lahlouba) qui a toujours préparé des gens qui gouvernent. Mais le problème est que ce monsieur ne sait ni parler, ni marcher, ni s’habiller correctement… Le personnage derrière toute cette stratégie est la mère de ce politicien. C’est elle qui tire toutes les ficelles. Les femmes «des palais» ont joué et jouent encore un très grand rôle dans les grandes décisions politiques tout en restant dans l’ombre. Je ne dénie point le droit de ces femmes de faire de la politique mais elles doivent le faire de manière franche et directe, pas en manipulant leurs époux ou leurs proches.

C’est une satire politique…
C’est une pièce qui est, à mon sens, une sorte de réaction vis-à-vis de cette typologie de politiciens qui sont apparus après la révolution et dont la plupart sont dans l’assemblée qui représente le peuple et dont on ne comprend pas de quelle manière ils sont arrivés là ! On ne comprend pas non plus comment ces gens nous gouvernent alors qu’ils n’ont ni l’étoffe ni le background d’un dirigeant qui représente le peuple. D’ailleurs, c’est l’une des raisons qui ont fait fuir les gens de la politique. On les voit à la télé, ce sont des politiciens rebutants même du côté vestimentaire ! Ne parlons pas de leur discours !
Avant, les politiciens étaient bien habillés avec un discours et une manière de parler bien étudiés et précise et surtout sans improvisation. Je ne vais pas donner de noms mais les gens reconnaissent ces politiciens. Je ne parle pas de tous les politiciens mais d’un bon 70% d’entre eux. La pièce est la caricature de ce qu’on est en train de vivre.
Selon vous pourquoi en est-on arrivé là aujourd’hui ?
Le problème est que les gens habilités à faire de la politique et à servir le pays se sont retirés du paysage qu’ils considèrent comme pollué. Peu d’entre eux sont restés pour faire de la résistance. Tout cela laisse le champ libre à des gens complètement incompétents sur ce plan et qui sont incapables de construire une phrase quand ils parlent politique.

Mais ce sont des gens élus par le peuple…
En effet, c’est le peuple qui les a élus mais le problème est qu’après avoir constaté leur incompétence, il s’est dit qu’il n’allait plus élire personne, qu’il allait laisser tomber les urnes ! Au lieu de se rediriger vers les urnes pour rectifier le tir, il se retire… permettant à ceux qu’il avait élus au début de rester au pouvoir… C’est stupéfiant ! C’est une bêtise sociale et politique ! Le peuple tunisien en est là aujourd’hui avec tout le respect que je lui dois ! Mais c’est aussi à l’image de ceux qui nous gouvernent… dans notre pièce, le peuple est représenté par deux gardes du corps qui vouent un grand culte à ce dirigeant incompétent pour garder leur poste mais aussi parce qu’ils ne peuvent pas vivre sans l’autorité qui s’exerce sur eux.

Vous avez encore espoir qu’un jour ce peuple saura choisir ses dirigeants ?
On ne perd jamais espoir, mais personnellement je pense que ce sont les grandes crises qui font les peuples. Je ne souhaite pas de grande crise, bien entendu ! Trois mois après la révolution le peuple tunisien était des plus solidaires et des plus disciplinés… Il a même appris à faire la file devant les boulangeries… Le terreau de bonne volonté existe mais il a fallu les événements du 14 janvier pour qu’il se révélât. Mais, aujourd’hui, je me demande comment le peuple tunisien va se sortir de ce cercle vicieux où il se trouve. Je n’ai pas de solution. Après tout, nous ne sommes que des artistes qui tendons un miroir.

Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui dans le métier d’acteur ?
On n’a toujours pas de métier d’acteur tant qu’on n’a pas encore de statut d’acteur avec des lois qui le protègent. Il n’y a pas d’institution pour créer des acteurs. Aujourd’hui, ce sont les feuilletons qui font les acteurs mais ce sont des acteurs dont la carrière se limite souvent à un seul feuilleton. C’est pour cela que je dis toujours que nous n’avons pas de «stars» en Tunisie. Fathi Haddaoui, par exemple, a participé à deux feuilletons en deux ans, c’est tout. La «star» est celui qui fait quelque soixante films et quarante feuilletons. Malheureusement, l’acteur tunisien demeure parfois pendant deux ou trois ans sans faire d’apparition, même s’il fait des pièces de théâtre, il reste toujours dans l’ombre. Cela dit, je me pose souvent la question : comment puis-je demander un statut pour l’acteur dans un pays qui, après cinq ans, n’a pas réussi à créer l’une de ses institutions les plus importantes : la Cour constitutionnelle ?

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